"Injonctions"

Installation (cintre, papier, règle), 2024

de Caroline Bravo

L'œuvre "Injonctions" de Caroline Bravo, se compose d’un cintre suspendu, portant un morceau de papier représentant le bas d’un bikini de joueuse de beach-volley. Une règle placée à côté mesure précisément la hauteur de ce bas, à 6 centimètres, rappelant la réglementation en vigueur jusqu’en 2012. Cette installation minimaliste et conceptuelle interroge les injonctions masculines à la sexyness imposées aux athlètes féminines, tout en faisant écho aux normes de couvrance qui régnaient un siècle plus tôt.

Par cette œuvre, Caroline Bravo met en lumière les diktats contradictoires et oppressifs qui ont jalonné l’histoire du sport féminin. À travers le prisme du beach-volley, elle souligne comment le corps des sportives est continuellement soumis à des normes esthétiques dictées par une vision masculine. La règle de 6 centimètres, symbole précis et implacable, incarne la manière dont les règlements sportifs peuvent objectifier et sexualiser les athlètes.

L'ajout du cintre, objet ordinaire du quotidien, évoque la banalité et l'acceptation généralisée de ces normes dans la société. En suspendant le bas du bikini, Caroline Bravo rend visible l'invisibilité de ces pressions, souvent acceptées sans questionnement. Cette juxtaposition entre l’élément de la garde-robe et l’outil de mesure introduit une tension entre le privé et le public, le personnel et le collectif, rappelant que les décisions concernant le corps des femmes ont souvent été prises en dehors de leur propre volonté.

Cette œuvre résonne également avec les exigences vestimentaires imposées aux sportives du début du 20e siècle, lorsque les joueuses de tennis, par exemple, étaient contraintes de porter des robes longues jusqu’aux chevilles. Caroline Bravo trace ainsi un parallèle historique, soulignant que bien que les formes d’oppression aient changé, l’essence du contrôle sur le corps féminin demeure.

"Injonctions" interroge les spectateurs sur la manière dont les régulations et les attentes sociétales façonnent non seulement l’apparence des sportives, mais aussi leur identité et leur autonomie. En remettant en question ces standards, Bravo appelle à une réflexion critique sur les structures patriarcales qui persistent dans le sport et la société en général.

Par cette installation, Caroline Bravo nous invite à repenser la notion de liberté corporelle et à dénoncer les mécanismes de pouvoir qui continuent de façonner les expériences des femmes dans le sport. Son travail engage un dialogue essentiel sur la nécessité de libérer les corps féminins des normes oppressives et de reconnaître leur droit à l’autodétermination et à l’égalité véritable.

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Caroline Bravo

Caroline Bravo est une artiste transdisciplinaire dont les créations, allant de la performance à l'installation intégrant écriture, photographie et danse, interrogent les fondements sociétaux du patriarcat et l'inégalité entre les sexes. Vivant et travaillant à Paris, elle a co-fondé la Station Expérimentale d'Art Contemporain avec l'artiste Sandrine Follère, ainsi que les cycles d'expositions-événements Hey Mummy Project.

L'œuvre "Suspension des préjugés", co-créée avec l’artiste Sandrine Follère, s'inscrit parfaitement dans la démarche artistique de Bravo. Cette installation, composée d'une potence, de baskets suspendues et d'un cerveau au sol, évoque la violence symbolique et réelle du sexisme dans le sport. Les gouttes de peinture blanche symbolisent les stéréotypes imprégnant les esprits, métaphore de la lutte constante des femmes pour l'égalité.

Ce travail (illustre) le concept de "Something about Suzanne" (prénom de son arrière grand-mère), une réflexion sur la transmission des carcans patriarcaux à travers les générations.

Bravo explore régulièrement la question du rôle des femmes dans la perpétuation des structures patriarcales. Sa performance "Procession" représente le mariage comme un rite de passage enfermant les femmes dans les rôles d'épouse et de mère, symbolisées par des femmes de tous âges portant des robes de différentes époques et marchant dans les rues avec des masques de tissu blanc. Cette œuvre critique la place réduite des femmes dans l'espace public et les attentes sociétales pesant sur elles. Dans sa performance "Se mettre à table", Bravo aborde la prise de parole libératrice de l'ère #MeToo. L'artiste avale plusieurs mètres de texte jusqu'à écœurement, pour ensuite les recracher, symbolisant la réappropriation et l'expulsion des récits de souffrance et de résistance. Cette œuvre performative incarne la douleur et la catharsis inhérentes à la prise de parole des femmes dans un contexte de libération et de dénonciation des injustices patriarcales.

Les performances "Overfull; Overflow" et "Ovaire full; Ovaire flow" continuent cette exploration en visualisant l'enlisement et la disparition des femmes sous le poids des attentes patriarcales et des contraintes sociétales. Dans "Overfull; Overflow", Bravo s'enlise sous des papiers dans un tube géant de plastique, jusqu'à disparaître, tandis que dans "Ovaire full; Ovaire flow", elle accroche des couches sur une cage géante de grillage, évoquant la surcharge mentale et l’assignation des femmes à des tâches routinières, accompagnée de la voix d'Albert Camus et de projections de vieux films VHS.

L'installation "Les Casseroles" matérialise les fardeaux invisibles que les femmes traînent derrière elles, en particulier la place traditionnelle dans la cuisine, tandis que "Someone else in me" invite les spectateurs à se regarder dans un miroir ancien, entouré de photographies de femmes du passé, questionnant ainsi l'identité et la mémoire collective féminine.

Caroline Bravo est anthropologue de formation, titulaire d'une maîtrise en Ethnologie, Anthropologie, et Sciences des religions, spécialisée en mythologies populaires, ethnopsychiatrie et civilisation arabo-musulmane. Sa démarche artistique conjugue cette expertise anthropologique avec une solide formation en arts, culture et médiation. Ancienne collaboratrice de Jack Lang à l’Institut du Monde Arabe, elle a œuvré dans les secteurs de la culture, des arts et des médias avant de se consacrer pleinement à sa carrière artistique.

Membre-chercheur du Laboratoire des Arts de la Performance (L.A.P.) depuis sa création en 2018 par Nour Awada, Caroline Bravo a récemment été en résidence au Centre d'art Mains d'Œuvres, au CAC La Traverse et à la Galerie Michel Journiac. Elle a performé au Générateur, au 59 Rivoli et au Palais de Tokyo, parmi d'autres lieux prestigieux. Son travail actuel continue de naviguer entre le sacré et le profane, le personnel et le collectif, explorant les dualités et les tensions inhérentes à la condition féminine dans un monde encore largement dominé par les structures patriarcales.