"Mémoire en suspension"

Installation (potence bois, fil de nylon, baskets Adidas, bâche, cerveau silicone), 2024

de Caroline Bravo et Sandrine Follère

L'installation "Mémoire en suspension" se dresse comme une déclaration audacieuse et provocante, interrogeant les trames profondes du sexisme et de l'inégalité dans le monde du sport. Composée d'une potence imposante, d'une paire de baskets Adidas suspendues et d'un cerveau reposant sur le sol, cette œuvre multimédia offre une réflexion puissante sur les structures oppressives qui subsistent au sein de notre société contemporaine.

Au premier regard, l'œil est attiré par les baskets suspendues, symboles à la fois de performance athlétique et de succès sportif. Ces chaussures, marques iconiques fondées par les frères Dassler, dont l'histoire est entachée par leur affiliation au régime nazi, évoquent immédiatement une dualité troublante entre l'aspiration à l'excellence et la sombre réalité des préjugés historiques. La peinture blanche qui s'écoule de ces baskets et tombe goutte à goutte sur un cerveau au sol, incarne une métaphore viscérale de la manière dont les stéréotypes sexistes infiltrent et altèrent les esprits, perpétuant des inégalités ancrées.

La potence, élément central de l'installation, peut être interprétée comme une représentation du jugement social et des pressions extrêmes que subissent les athlètes, en particulier les femmes, dans leur quête de reconnaissance et d'égalité. Le choix de suspendre les baskets, plutôt que de les poser au sol, suggère une forme de violence symbolique, un rappel constant de la précarité de la position des femmes dans le sport. Cette suspension évoque également un état de transition, une lutte inachevée pour l'égalité, où chaque goutte de peinture blanche symbolise les tentatives répétées de blanchir ou d'ignorer les injustices systémiques.

Le cerveau au sol, baigné dans la peinture qui coule des chaussures, représente l'intellect et la rationalité piégés par les préjugés et les discriminations. Il incarne le poids des stéréotypes qui pèsent sur les athlètes féminines, limitant leur reconnaissance et leur succès dans un domaine dominé par des normes masculines. L'œuvre invite le spectateur à réfléchir sur la manière dont le sexisme imprègne notre perception du sport et de la performance, et à envisager la nécessité d'une réévaluation profonde des valeurs et des structures de pouvoir en place.

"Mémoire en suspension" s'inscrit dans une démarche artistique résolument engagée, où chaque élément de l'installation devient une pièce d'un puzzle complexe visant à déconstruire les mécanismes d'oppression. Cette œuvre, à la fois poignante et provocante, nous pousse à interroger nos propres préjugés et à envisager des voies de transformation vers une égalité véritable et durable dans le sport et au-delà

Avec "Mémoire en suspension", Caroline Bravo et Sandrine Follère nous offrent une exploration poignante des liens inextricables entre histoire, mémoire et lutte pour l'égalité, tout en soulignant l'urgence d'un changement systémique dans notre approche du sport et de la société.

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Caroline Bravo

Caroline Bravo est une artiste transdisciplinaire dont les créations, allant de la performance à l'installation intégrant écriture, photographie et danse, interrogent les fondements sociétaux du patriarcat et l'inégalité entre les sexes. Vivant et travaillant à Paris, elle a co-fondé la Station Expérimentale d'Art Contemporain avec l'artiste Sandrine Follère, ainsi que les cycles d'expositions-événements Hey Mummy Project.

L'œuvre "Suspension des préjugés", co-créée avec l’artiste Sandrine Follère, s'inscrit parfaitement dans la démarche artistique de Bravo. Cette installation, composée d'une potence, de baskets suspendues et d'un cerveau au sol, évoque la violence symbolique et réelle du sexisme dans le sport. Les gouttes de peinture blanche symbolisent les stéréotypes imprégnant les esprits, métaphore de la lutte constante des femmes pour l'égalité.

Ce travail (illustre) le concept de "Something about Suzanne" (prénom de son arrière grand-mère), une réflexion sur la transmission des carcans patriarcaux à travers les générations.

Bravo explore régulièrement la question du rôle des femmes dans la perpétuation des structures patriarcales. Sa performance "Procession" représente le mariage comme un rite de passage enfermant les femmes dans les rôles d'épouse et de mère, symbolisées par des femmes de tous âges portant des robes de différentes époques et marchant dans les rues avec des masques de tissu blanc. Cette œuvre critique la place réduite des femmes dans l'espace public et les attentes sociétales pesant sur elles. Dans sa performance "Se mettre à table", Bravo aborde la prise de parole libératrice de l'ère #MeToo. L'artiste avale plusieurs mètres de texte jusqu'à écœurement, pour ensuite les recracher, symbolisant la réappropriation et l'expulsion des récits de souffrance et de résistance. Cette œuvre performative incarne la douleur et la catharsis inhérentes à la prise de parole des femmes dans un contexte de libération et de dénonciation des injustices patriarcales.

Les performances "Overfull; Overflow" et "Ovaire full; Ovaire flow" continuent cette exploration en visualisant l'enlisement et la disparition des femmes sous le poids des attentes patriarcales et des contraintes sociétales. Dans "Overfull; Overflow", Bravo s'enlise sous des papiers dans un tube géant de plastique, jusqu'à disparaître, tandis que dans "Ovaire full; Ovaire flow", elle accroche des couches sur une cage géante de grillage, évoquant la surcharge mentale et l’assignation des femmes à des tâches routinières, accompagnée de la voix d'Albert Camus et de projections de vieux films VHS.

L'installation "Les Casseroles" matérialise les fardeaux invisibles que les femmes traînent derrière elles, en particulier la place traditionnelle dans la cuisine, tandis que "Someone else in me" invite les spectateurs à se regarder dans un miroir ancien, entouré de photographies de femmes du passé, questionnant ainsi l'identité et la mémoire collective féminine.

Caroline Bravo est anthropologue de formation, titulaire d'une maîtrise en Ethnologie, Anthropologie, et Sciences des religions, spécialisée en mythologies populaires, ethnopsychiatrie et civilisation arabo-musulmane. Sa démarche artistique conjugue cette expertise anthropologique avec une solide formation en arts, culture et médiation. Ancienne collaboratrice de Jack Lang à l’Institut du Monde Arabe, elle a œuvré dans les secteurs de la culture, des arts et des médias avant de se consacrer pleinement à sa carrière artistique.

Membre-chercheur du Laboratoire des Arts de la Performance (L.A.P.) depuis sa création en 2018 par Nour Awada, Caroline Bravo a récemment été en résidence au Centre d'art Mains d'Œuvres, au CAC La Traverse et à la Galerie Michel Journiac. Elle a performé au Générateur, au 59 Rivoli et au Palais de Tokyo, parmi d'autres lieux prestigieux. Son travail actuel continue de naviguer entre le sacré et le profane, le personnel et le collectif, explorant les dualités et les tensions inhérentes à la condition féminine dans un monde encore largement dominé par les structures patriarcales.

Sandrine Follère