"Résonances Corporelles"

Tirage papier, 2024

de Caroline Bravo

L'œuvre "Résonances Corporelles" de Caroline Bravo se présente comme une reproduction en grand format, minimaliste en noir et blanc, d'une plaquette de pilules contraceptives. Cette pièce interpelle et provoque, soulevant des questions cruciales sur le contrôle et la dépossession du corps féminin, particulièrement dans le contexte du sport de haut niveau.

En s'appropriant un objet quotidien, banal et pourtant chargé de significations sociétales et politiques, Bravo expose les mécanismes de contrôle auxquels les femmes sportives sont soumises. La pilule contraceptive, symbole de liberté et d'émancipation pour beaucoup, devient ici l'emblème d'une nouvelle forme d'asservissement. Dans le domaine sportif, où la quête de performance extrême impose des exigences sévères et souvent déshumanisantes, la chimie est utilisée pour décaler les règles menstruelles, optimisant ainsi les périodes de compétition et d'entraînement intensif.

Ce geste artistique de reproduction en grand format déplace la pilule contraceptive du privé à l'espace public de l'exposition, soulignant la violence structurelle exercée sur les corps féminins. Par une esthétique dépouillée et une mise en scène froide et clinique, Bravo nous confronte à la réalité brutale de cette instrumentalisation. La plaquette de pilules, agrandie à une échelle imposante, devient un totem moderne, révélateur des sacrifices imposés aux femmes dans leur quête de reconnaissance et de succès dans des sphères traditionnellement dominées par les hommes.

L'œuvre invite à une réflexion sur le paradoxe de l'autonomie corporelle dans un contexte où les normes et les pressions extérieures dictent les usages du corps. Les femmes athlètes, dépossédées de leur cycle naturel, se retrouvent à naviguer entre une double exigence : celle de la performance sportive et celle de la conformité aux standards patriarcaux. Caroline Bravo, par cette pièce, interroge le pouvoir exercé sur le corps des femmes et la manière dont celui-ci est régulé et modifié pour répondre à des objectifs qui les dépassent.

En filigrane, "Résonances Corporelles" aborde également la question de l'inégalité des genres dans le sport, où les corps féminins sont continuellement mesurés, évalués et ajustés pour correspondre à des attentes souvent inatteignables. Cette œuvre pose un regard critique sur les systèmes de contrôle qui perdurent et s'infiltrent même dans les espaces supposés d'émancipation.

Caroline Bravo, par cette œuvre, nous offre une réflexion incisive sur les dynamiques de pouvoir et les structures de domination qui façonnent les expériences des femmes dans le sport et au-delà. "Résonances Corporelles" nous invite à repenser la notion de liberté corporelle et à questionner les récits de performance et de perfection imposés aux femmes, ouvrant ainsi la voie à une réévaluation des valeurs et des pratiques qui gouvernent nos sociétés contemporaines.

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Caroline Bravo

Caroline Bravo est une artiste transdisciplinaire dont les créations, allant de la performance à l'installation intégrant écriture, photographie et danse, interrogent les fondements sociétaux du patriarcat et l'inégalité entre les sexes. Vivant et travaillant à Paris, elle a co-fondé la Station Expérimentale d'Art Contemporain avec l'artiste Sandrine Follère, ainsi que les cycles d'expositions-événements Hey Mummy Project.

L'œuvre "Suspension des préjugés", co-créée avec l’artiste Sandrine Follère, s'inscrit parfaitement dans la démarche artistique de Bravo. Cette installation, composée d'une potence, de baskets suspendues et d'un cerveau au sol, évoque la violence symbolique et réelle du sexisme dans le sport. Les gouttes de peinture blanche symbolisent les stéréotypes imprégnant les esprits, métaphore de la lutte constante des femmes pour l'égalité.

Ce travail (illustre) le concept de "Something about Suzanne" (prénom de son arrière grand-mère), une réflexion sur la transmission des carcans patriarcaux à travers les générations.

Bravo explore régulièrement la question du rôle des femmes dans la perpétuation des structures patriarcales. Sa performance "Procession" représente le mariage comme un rite de passage enfermant les femmes dans les rôles d'épouse et de mère, symbolisées par des femmes de tous âges portant des robes de différentes époques et marchant dans les rues avec des masques de tissu blanc. Cette œuvre critique la place réduite des femmes dans l'espace public et les attentes sociétales pesant sur elles. Dans sa performance "Se mettre à table", Bravo aborde la prise de parole libératrice de l'ère #MeToo. L'artiste avale plusieurs mètres de texte jusqu'à écœurement, pour ensuite les recracher, symbolisant la réappropriation et l'expulsion des récits de souffrance et de résistance. Cette œuvre performative incarne la douleur et la catharsis inhérentes à la prise de parole des femmes dans un contexte de libération et de dénonciation des injustices patriarcales.

Les performances "Overfull; Overflow" et "Ovaire full; Ovaire flow" continuent cette exploration en visualisant l'enlisement et la disparition des femmes sous le poids des attentes patriarcales et des contraintes sociétales. Dans "Overfull; Overflow", Bravo s'enlise sous des papiers dans un tube géant de plastique, jusqu'à disparaître, tandis que dans "Ovaire full; Ovaire flow", elle accroche des couches sur une cage géante de grillage, évoquant la surcharge mentale et l’assignation des femmes à des tâches routinières, accompagnée de la voix d'Albert Camus et de projections de vieux films VHS.

L'installation "Les Casseroles" matérialise les fardeaux invisibles que les femmes traînent derrière elles, en particulier la place traditionnelle dans la cuisine, tandis que "Someone else in me" invite les spectateurs à se regarder dans un miroir ancien, entouré de photographies de femmes du passé, questionnant ainsi l'identité et la mémoire collective féminine.

Caroline Bravo est anthropologue de formation, titulaire d'une maîtrise en Ethnologie, Anthropologie, et Sciences des religions, spécialisée en mythologies populaires, ethnopsychiatrie et civilisation arabo-musulmane. Sa démarche artistique conjugue cette expertise anthropologique avec une solide formation en arts, culture et médiation. Ancienne collaboratrice de Jack Lang à l’Institut du Monde Arabe, elle a œuvré dans les secteurs de la culture, des arts et des médias avant de se consacrer pleinement à sa carrière artistique.

Membre-chercheur du Laboratoire des Arts de la Performance (L.A.P.) depuis sa création en 2018 par Nour Awada, Caroline Bravo a récemment été en résidence au Centre d'art Mains d'Œuvres, au CAC La Traverse et à la Galerie Michel Journiac. Elle a performé au Générateur, au 59 Rivoli et au Palais de Tokyo, parmi d'autres lieux prestigieux. Son travail actuel continue de naviguer entre le sacré et le profane, le personnel et le collectif, explorant les dualités et les tensions inhérentes à la condition féminine dans un monde encore largement dominé par les structures patriarcales.